Après notre visite d’Amphipolis et avant de retourner à Kavala, nous nous rendons à Philippes, passage important de notre projet. En effet c’est le lieu d’une bataille célèbre dont a dépendu le sort de Rome, c’est une étape de l’apôtre Paul où son action a fortement ancré la nouvelle religion, il s’y trouve des ruines vastes et significatives, et les nombreuses trouvailles archéologiques faites sur le site sont regroupées dans un très riche musée.
En arrivant, on se rend d’abord sur le lieu où a été édifiée une église célébrant saint Paul. C’est une église moderne située au fond d’un parc bien entretenu, semé de pierres tombales antiques.
Elle affecte une forme circulaire et en fait si probablement des offices y sont célébrés, elle affecte plutôt l’aspect d’un baptistère. Les colonnades font un assez bel effet, mais les mosaïques murales sont très brillantes, regorgent d’or et manquent de finesse. Bref, c’est un peu kitsch. En revanche, au sol du narthex une mosaïque beaucoup plus sobre représente l’itinéraire de Paul. La bannière déployée par cette naïade chevauchant un dauphin dit “La route de l’apôtre Paul, 50 après le Christ”.
Dans mon article sur Kavala, j’ai cité le passage des Actes des Apôtres où il est dit comment Paul s’est rendu de Troade à Philippes. Je vais continuer ici. “ Nous passâmes quelques jours dans cette ville, puis, le jour du sabbat, nous nous rendîmes en dehors de la porte, sur les bords de la rivière, où l'on avait l'habitude de faire la prière. Nous étant assis, nous adressâmes la parole aux femmes qui s'étaient réunies. L'une d'elles, nommée Lydie, nous écoutait. C'était une négociante en pourpre, de la ville de Thyatire. Elle adorait Dieu. Le Seigneur lui ouvrit le cœur, de sorte qu'elle s'attacha aux paroles de Paul. Après avoir été baptisée ainsi que les siens, elle nous fit cette prière : Si vous me tenez pour une fidèle du Seigneur, venez demeurer dans ma maison. Et elle nous y contraignit”. Jusqu’à présent, Paul et les autres apôtres n’avaient prêché qu’en Asie, que ce soit en Palestine, en Syrie, en Cilicie ou en Ionie. Lydie est donc la première chrétienne d’Europe puisque Paul n’a converti personne à Samothrace ni à Néapolis. C’est là dans ce ruisseau, à quelques mètres du bâtiment, que passe la rivière dont il est question et où Lydie a été baptisée. Elle est laissée libre et naturelle, mais en cet endroit, un îlot artificiel en ciment a été aménagé avec un petit oratoire.
Avant de quitter cette église baptistère et ses environs… Les chasseurs de dahut passent parfois des nuits entières à guetter l’animal, mais les tables-dahuts sont encore plus rares, je ne veux donc pas rater l’occasion de montrer celle-ci.
Rendons-nous sur le site. On passe devant les murs (première photo), et devant la porte de Néapolis (seconde photo). C’est par là que les voyageurs, saint Paul ou les autres, entraient dans la ville, puisque l’on débarquait au port de Néapolis. Et c’était la même chose si l’on arrivait de l’est, Byzance ou Traianopolis, par voie de terre puisque la via Egnatia, route internationale, traversait aussi bien la ville de Philippes que son port. Et si l’on venait de l’ouest, Dyrrachium ou Thessalonique, on sortait de Philippes par la porte de Néapolis.
Puisque me voici en vue des ruines de cette vaste ville, je vais dire deux mots de la bataille qui s’est déroulée sous ses murs, au sud-ouest, en bordure de la via Egnatia, en 42 avant Jésus-Christ. On sait que Brutus, avec Cassius et une cinquantaine de sénateurs, a assassiné César aux ides de mars 44. Il représente les Républicains, opposés à la substitution d’un roi à la démocratie romaine. Cassius est, auprès de lui, l’autre chef des armées républicaines. En face, il y a les triumvirs, à savoir Octave, celui qui quinze ans plus tard sera l’empereur Auguste, Antoine auparavant son adversaire mais avec qui il a pactisé par intérêt, et Lépide, qui était l’associé d’Antoine en Afrique. C’est terrible, parce que c’est une guerre civile, Romains contre Romains, même s’il y a aussi des deux côtés des mercenaires et des alliés étrangers. À propos d’une stèle du musée, nous allons évoquer tout à l’heure un prince thrace. Des soldats demandent au compatriote qui vient de les blesser mortellement de transmettre un message à leur famille. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails des manœuvres sur le terrain lors de chacun des deux engagements qui ont eu lieu à quelques semaines d’intervalle, je me contenterai de dire que les pertes des deux côtés ont été très lourdes, que Cassius s’est suicidé en demandant à son affranchi de l’exécuter, que Brutus a dû lâcher prise et a préféré se suicider lui aussi. Octave a décapité son cadavre pour déposer sa tête aux pieds de la statue de César à Rome. C’en est fini de la république. Antoine va prendre l’Orient, Lépide l’Afrique, et à Octave revient l’Occident, Rome et l’Italie laissées hors du partage. Reste à régler les différends entre les trois vainqueurs et à savoir quelle forme va prendre le nouveau pouvoir. Ce sera une sanglante guerre civile jusqu’à Actium, en l’an 31 (voir mon article sur Nikopolis et Arta, 13 janvier 2011), et Octave se retrouvera seul maître à bord. Il ne tardera plus, dès lors, à prendre tous les pouvoirs. En 28, il se déclare princeps senatus (premier du sénat), et en janvier il prend le nom d’Augustus, à valeur religieuse. On peut considérer que c’est le début de l’Empire. Car le titre d’Imperator est donné au général victorieux par ses troupes, d’autres l’ont porté du temps de la République. C’est celui de princeps Augustus qu’il convient de traduire par empereur.
Je parlais tout à l’heure de la via Egnatia. Elle a été retrouvée sur le site antique. On voit que les plaques de pierre qui la composaient étaient longues, ce qui la rendait plus confortable, les roues des chars ne tressautant que sur des jointures plus espacées.
Cette vaste esplanade, c’est le forum. Forum romain, bien sûr. Rien de commun avec une agora grecque, place publique au centre de la cité également, mais plus petite, plus humaine, bordée de boutiques. Ici, ce n’étaient que temples, administrations et autres bâtiments officiels.
Sur le flanc du forum court une grande rue qui, elle, est bordée de boutiques. C’est ce que les Romains appellent le macellum, c’est leur marché.
Là où se trouvait Krenides, colonie de Thasos (c’est encore le nom du bourg moderne), Philippe II de Macédoine a fondé en 356 une ville à laquelle il a donné son nom. La ville gréco-macédonienne reste d’importance réduite jusqu’à ce qu’elle soit largement romanisée. Après sa victoire de l’an 42, Octave en a fait une colonie romaine, ce qui lui donne des privilèges. Après la prédication de saint Paul, même si son séjour s’est mal passé, comme on va le voir, le christianisme s’y est vite développé, Philippes est devenue le siège d’un évêché, et aujourd’hui on peut voir plusieurs basiliques paléochrétiennes, nommées par des chiffres. Les chiffres, en grec, étant représentés par des lettres, cette basilique B doit être appelée “bêta”, comme la lettre de l’alphabet, ou “deux”. De près comme de loin, avec le mont Pangée en arrière-plan, elle est impressionnante. Construite au milieu du sixième siècle, seulement quelques années après Sainte-Sophie de Constantinople, c’est l’une des toutes premières églises à en reprendre l’architecture à coupole. Il semblerait que, cette coupole s’étant effondrée avant que l’église soit achevée, on ait interrompu la construction que l'on n’aurait jamais reprise.
Tout contre la basilique B se trouvent les ruines de la palestre. En effet, cette palestre n’était plus en usage, et une bonne partie de sa superficie a été recouverte par l’église. Cette porte restée debout (ou remise en place, je ne sais) est bien grecque, mais ces murs de pierre entrecoupés de rangs de briques sont très typiques de l’architecture romaine.
Je disais que le séjour de saint Paul à Philippes s’était mal passé. Je reprends le texte des Actes des Apôtres : “ Un jour que nous nous rendions à la prière, nous rencontrâmes une servante qui avait un esprit divinateur, elle faisait gagner beaucoup d'argent à ses maîtres en rendant des oracles. Elle se mit à nous suivre […]. À la fin Paul, excédé, se retourna et dit à l'esprit : 'Je t'ordonne au nom de Jésus-Christ de sortir de cette femme'. Et l'esprit sortit à l'instant même. Mais ses maîtres, voyant disparaître leurs espoirs de gain, se saisirent de Paul et de Silas, les traînèrent sur l'agora devant les magistrats et dirent, en les présentant aux stratèges : 'Ces gens-là jettent le trouble dans notre ville […]'. La foule s'ameuta contre eux, et les stratèges, après avoir fait arracher leurs vêtements, ordonnèrent de les battre de verges. Quand ils les eurent bien roués de coups, ils les jetèrent en prison, en recommandant au geôlier de les garder avec soin. Ayant reçu pareille consigne, celui-ci les jeta dans le cachot intérieur et leur fixa les pieds dans des ceps. Vers minuit, […] il se produisit un si violent tremblement de terre que les fondements de la prison en furent ébranlés. A l'instant, toutes les portes s'ouvrirent, et les liens de tous les prisonniers se détachèrent. Tiré de son sommeil et voyant ouvertes les portes de la prison, le geôlier sortit son glaive. Il allait se tuer, à l'idée que les prisonniers s'étaient évadés. Mais Paul cria d'une voix forte : 'Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici'. Le geôlier demanda de la lumière, accourut et, tout tremblant, se jeta aux pieds de Paul et de Silas. […] Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu'à tous ceux qui étaient dans sa maison. Le geôlier les prit avec lui à l'heure même, en pleine nuit, lava leurs plaies et sur-le-champ reçut le baptême, lui et tous les siens. […] Lorsqu'il fit jour, les stratèges envoyèrent les licteurs dire au geôlier : R'elâche ces gens-là […]'. Mais Paul dit aux licteurs : 'Ils nous ont fait battre en public et sans jugement, nous, des citoyens romains, et ils nous ont jetés en prison. Et maintenant, c'est à la dérobée qu'ils nous font sortir. Eh bien, non. Qu'ils viennent eux-mêmes nous libérer'. Les licteurs rapportèrent ces paroles aux stratèges. Effrayés en apprenant qu'ils étaient citoyens romains, ceux-ci vinrent les presser de quitter la ville. Au sortir de la prison, Paul et Silas se rendirent chez Lydie, revirent les frères et les exhortèrent, puis ils partirent”. Selon la tradition, la photo ci-dessus montrerait la prison de Paul. Mais “toutes les portes s'ouvrirent”, “les liens de tous les prisonniers”, “nous sommes tous ici”, ces mots semblent désigner une prison plus grande. Toutefois n’étant ni exégète du Nouveau Testament, ni archéologue, je me garderai donc de rien affirmer.
Il y a aussi, ici ou là sur le site, de petits détails que je relève. Par exemple, des marques de gonds dans une pierre de seuil (seconde photo). Quant aux grandes jarres comme celle de ma première photo, elles peuvent signifier que l’on se trouve dans une boutique, ou dans la réserve d’une grande maison. Je crois qu’il s’agit de la seconde solution, parce que si j’interprète correctement le plan, à vrai dire très sommaire et très petit, donc peu lisible, la pièce où se trouve cette jarre –ou plutôt où se trouvent ces jarres, car il y en a plusieurs partiellement ou totalement hors champ– ferait partie de la résidence de l’évêque.
Là où se trouvait un hérôon (sanctuaire de héros) de l’époque hellénistique, a été construite la toute première église chrétienne de Philippes, qui a été dédiée à saint Paul. C’était de 312 à 342-343. De cette époque datent des mosaïques de sol. Un peu plus tard, vers 400, la petite église initiale étant déjà devenue insuffisante pour une communauté chrétienne qui ne cessait de croître, on l’a remplacée par une basilique dont la nef, devant le chœur, s’inscrit dans un grand octogone. Aussi les archéologues l’ont appelée non par un chiffre mais par sa forme, l’Octogone. Et cette basilique, à son tour, a été décorée de mosaïques de sol.
Le site archéologique est coupé en deux par la route. De ce côté-ci, qui est la partie haute de la ville, se trouve la prison de Paul, que nous avons vue, et les autres ruines que nous allons voir maintenant. Ici, ces marches sont celles d’un hérôon (qui n’est pas du tout celui contre lequel a été construite la basilique de l’Octogone). Une inscription y a été trouvée mentionnant parmi d’autres noms celui de Philippe II, fondateur de la cité.
Et puis il y a la basilique A (Alpha ou Un), de la fin du cinquième siècle, dont l’accès est constitué par les marches de l’ancien hérôon, qui a été transformé en citerne. Ces marches donnaient sur un atrium bordé de colonnades. Ici se trouvait précédemment le capitole, c’est-à-dire le sanctuaire dédié à la triade Jupiter, Junon, Minerve que toute colonie romaine se devait de construire. Colonie romaine, c’est pourquoi en cette ville grecque je ne parle pas de Zeus, Héra, Athéna. Ailleurs, les chrétiens détruisaient généralement les temples païens, ou les aménageaient en églises chrétiennes, mais à Philippes la première petite église Saint-Paul s’est pacifiquement adossée à un hérôon, et ici l’on n’a utilisé des pierres et des éléments architecturaux antérieurs que parce que le paganisme s’était éteint, le capitole était déserté depuis longtemps et tombait en ruines, les bâtiments s’effondraient d’eux-mêmes. Comme on peut l’apprécier sur ma photo, cette basilique était d’une ampleur considérable, 120 mètres sur 75, avec son atrium, son narthex, ses trois nefs, son grand transept, son abside semi-circulaire, ses deux chapelles latérales.
En chemin vers le théâtre, je fais une halte devant ce rocher sculpté en bas-relief. Une divinité court vêtue et un arc à la main, il n’est pas nécessaire d’être un grand spécialiste pour identifier Artémis. En plusieurs endroits, dans la nature à Philippes, on trouve ainsi de petits sanctuaires d’Artémis qui semble avoir reçu dans cette ville un culte tout particulier. Rien d’étonnant dans une ville qui, à l’origine, était colonie de l’île de Thasos.
Et voici le théâtre, construit dès l’origine de la cité, au milieu du quatrième siècle et assez profondément remanié au second et au troisième siècles après Jésus-Christ. Bien sûr, là comme ailleurs, les Romains n’accordaient pas au théâtre le même intérêt que les Grecs, ils leur préféraient les jeux du cirque, combats de gladiateurs et de bêtes sauvages, et pour protéger les spectateurs ils ont détruit les trois ou quatre premiers rangs de sièges et ont monté une barricade. Le théâtre a également été agrandi par le haut en lui ajoutant des rangées de sièges posés sur une galerie voûtée.
Dans ce théâtre, on donne des représentations de pièces antiques. Nous avons vu cela sur une affiche à Kavala lors de notre premier passage, et avons acheté des places. Il s’agissait d’Œdipe Roi, la tragédie de Sophocle. L'affiche de ma première photo ci-dessus, c'est à Thessalonique que je l'ai vue il y a quelques jours, alors que je n’imaginais pas que la même pièce serait jouée à Philippes un peu plus tard. Le texte, autant que j’aie pu en juger (je ne disposais pas du texte, et la pièce était jouée en grec moderne dont j’ai acquis quelques notions de base mais que je ne parle pas) était apparemment respecté, mais la mise en scène faisait de la pièce une nouvelle création. Les costumes n’avaient rien d’antique, un personnage qui n’était pas du tout invalide se faisait de temps à autre pousser en fauteuil roulant, les acteurs par moments étaient vautrés à terre et poussaient de grands cris… Il est en effet très fréquent de nos jours que les grands classiques, d’Eschyle à Racine, d’Aristophane à Molière, soient revisités par les metteurs en scène contemporains. Or ce qui caractérise les auteurs de génie, c’est qu’ils sont intemporels. Ils savent créer des personnages éternels. Celui qui veut les revisiter se juge donc supérieur à eux. Alors, qu’ils écrivent eux-mêmes des pièces, ces metteurs en scène, au lieu de travestir les classiques. Je suis conscient qu’en écrivant cela, je vais passer pour un vieux barbon rétrograde. Sans doute est-ce le cas, mais me le dire ne m’a pas empêché d’être déçu. Une déception toutefois largement compensée par le bonheur d’être là, dans ce théâtre antique, assis sur ces bancs de marbre vieux de 2350 ans (nous avions cependant pris la précaution de nous munir de coussins pour épargner la dureté de la pierre à nos postérieurs délicats).
Venons-en au musée archéologique. Il couvre toutes les époques d’occupation du site, depuis les premiers habitats néolithiques jusqu’aux débuts de la ville byzantine. Ici, nous voyons une petite figurine zoomorphique en argile qui remonte aux années 4800-4200 avant Jésus-Christ.
Ces bustes de femmes, également en argile, également de 4800-4200, possèdent tous les mêmes caractéristiques, une taille étroite mais des hanches larges, signe de fertilité. Sur le montage ci-dessus, je me suis efforcé de mettre toutes mes photos à la même échelle afin que l’on puisse voir que ces figurines sont de toutes tailles.
Laissons là la préhistoire et, au prix d’un énorme bond dans le temps, nous arrivons à la fin du second siècle avant Jésus-Christ ou au début du premier. Du moins pour la première de ces photos, parce que la seconde, prise à l’extérieur où sont disséminées d’innombrables stèles funéraires, ne bénéficie d’aucune légende. Le culte du héros cavalier est un thème extrêmement répandu en Thrace aux époques hellénistique et romaine, et ici nous sommes à la limite de la Thrace et de la Macédoine en un temps où les frontières sont très perméables aux hommes, aux idées, aux croyances. On remarque aussi des serpents qui s’enroulent autour des arbres. Rampant sur le sol, disparaissant dans les creux des pierres et sous la terre, les serpents sont des intermédiaires avec l’au-delà, ce sont des animaux chtoniens. Sur la première stèle, le héros tend la main à une divinité assise sur un trône, sur la seconde il se dirige vers un autel.
Cette pierre est datée “E et P”, c’est-à-dire 105. L’an 105 après la prise de la Macédoine par les Romains en 168 avant Jésus-Christ c’est l’année 43/42. Il s’agit d’un certain Driôzigès, fils de Rêboukenthès, de Polgè (cette ville n’a pas été localisée, on suppose que c’est dans la plaine de Chrysoupolis, à l’est de Kavala, plein nord en face de l’île de Thasos), tué au combat aux côtés de son roi Rèskouporès. Ce héros, son père, sa ville, son roi, tous portent des noms thraces. Or, si l’on ne connaît pas de Rèskouporès, en revanche un prince thrace nommé Sappaii Raskouporès a pris part à la bataille de Pharsale (César contre Pompée, 48 avant Jésus-Christ, sud de la Thessalie) et, en 42, il a combattu à Philippes auprès des démocrates Brutus et Cassius contre Octave et Antoine. Vu que la stèle date de l’année de cette bataille et que ce Driôzigès est mort en combattant, vu que ce Thrace a été enterré en Macédoine sur les lieux de la bataille de Philippes, il est quasiment sûr que c’est à cette bataille qu’il a été tué.
Cette statuette de bronze est d’époque romaine. Je ne sais ce qu’est censé faire cet homme, courant la main droite tendue en avant. Quant à son usage, c’était sans doute une décoration de vase ou de coffret en bronze.
Également d’époque romaine est cette main de bronze qui porte une bague. Elle appartenait à une statue d’homme colossale, qui n’a pas été retrouvée.
Cette stèle à section triangulaire est sculptée de reliefs sur chacune de ses trois faces, et les trois reliefs représentent la même déesse Hécate. À plusieurs reprises, mais plus particulièrement à propos de la naissance d’Aphrodite (article sur Cythère, 6-10 mai 2011) j’ai évoqué l’union de Gaia, la Terre, avec Ouranos, le Ciel, et comment leur fils Cronos, le Temps, avait émasculé son père d’un coup de faucille. Ce qui, à l’époque, était hors de mon propos et dont par conséquent je n’ai pas parlé, c’est que par la suite Gaia s’est unie à Pontos, le Flot, avec qui elle a engendré entre autres Eurybié qui, avec son demi-frère Crios, fils d’Ouranos, a donné naissance, entre autres enfants, à Persès. À ce niveau de l’arbre généalogique, il y a déjà pas mal de monde, mais ce n’est que la troisième génération, la consanguinité est inévitable. Aussi Persès s’unit-il avec sa cousine germaine Asteria (leurs deux pères Crios et Coeos sont frères, fils d’Ouranos et Gaia). C’est de là que nous vient Hécate, par conséquent arrière-petite-fille de Gaia, d’Ouranos, de Pontos. À l’origine, elle était considérée comme répandant des bienfaits sur qui la sollicitait, favorisant les pêches abondantes, le bétail, elle aidait aussi à l’éloquence et protégeait la jeunesse. Et puis, avec le temps, son culte s’est modifié, et elle a été considérée comme la déesse de la magie et de la sorcellerie. Et comme les carrefours sont par excellence les lieux de la magie, Hécate préside aux carrefours. Elle est alors généralement représentée comme un corps de femme à trois têtes, ou comme une femme à trois corps, ou encore comme ici sous la forme d’une femme en trois personnes, et ces stèles étaient placées un peu partout aux carrefours. On venait y déposer des offrandes pour obtenir la protection de la déesse.
Je préfère ici montrer le gros plan que j’ai fait de la tête de cette Nikè (Victoire), une grande statue que je trouve particulièrement belle. Elle date du deuxième siècle de notre ère et provient d’un temple du côté ouest du forum.
Ce n’est pas la première fois que nous voyons une Tychè (mon article sur Corinthe, 8-10 avril 2011), déesse du Sort, de la bonne ou de la mauvaise fortune (d’ailleurs, chez les Romains, on l’appelle Fortuna, étant entendu que le mot latin fors signifie le hasard), et qui est protectrice des cités. C’est pourquoi elle est généralement couronnée de murailles de ville, comme ici. Ces murailles sont celles de Philippes, et la statue date du règne de l’empereur Hadrien (117-138 de notre ère). Mais si l’on considérait auparavant qu’il s’agissait de Tychè en personne, il paraît que selon des études récentes il s’agirait plutôt d’une prêtresse de la déesse. Hélas, il n’est pas dit le pourquoi de ce revirement de l’interprétation, et je n’ai pu le trouver.
Ces deux têtes d’hommes en marbre sont plus ou moins contemporaines. On situe la seconde, dont on ignore qui elle représente, entre 150 et 170 de notre ère, tandis que la première représente l’empereur Antonin le Pieux, successeur d’Hadrien, qui a régné de 138 à 161. Mais la seconde, sculptée environ un siècle après le passage de saint Paul et les premières conversions au christianisme, porte la preuve qu’elle représente un personnage païen, car elle est gravée au front d'une croix. Or ces croix chrétiennes étaient ajoutées à des sculptures païennes pour les consacrer à la nouvelle religion, et ainsi éloigner les démons qu’elles sont censées porter en elles.
Inutile de dire que cette chasseresse en courte tunique, en bottes de cuir souple, un arc dans la main gauche, la droite tirant une flèche de son carquois, est la déesse Artémis. Cette stèle votive du deuxième ou du troisième siècle après Jésus-Christ représente en outre son animal favori, la biche, ici attaquée par un chien.
Cet objet curieux, trouvé lors des fouilles de l’Octogone et daté de la première moitié du quatrième siècle après Jésus-Christ, est une horloge solaire astronomique portable en bronze. C’est un peu encombrant comme montre de gousset, ce n’est sans doute pas d’une consultation très aisée (j’avoue que je ne saurais y lire l’heure), mais c’est ingénieux. Cette horloge est conçue pour fonctionner entre les latitudes et les longitudes d’Alexandrie en Égypte et de Vienne en France.
Quant à ce buste de bronze qui pèse 1850 grammes, c’est un poids que l’on déplace sur le bras gradué d’une balance. D’un côté on suspend l’objet à peser, de l’autre côté on recherche l’équilibre en faisant glisser le poids. Ce n’est pas très précis mais c’est commode. Les poids de ce type, qui généralement sont à l’effigie de l’empereur ou de l’impératrice, sont en bronze creux à l’intérieur duquel on a coulé du plomb jusqu’à obtenir le poids voulu. Au musée, on date celui-ci entre 400 et 450 après Jésus-Christ, alors que dans mon livre on le date de la seconde moitié du même siècle. Et en fait les deux se complètent, parce que les deux hésitent entre l’impératrice Ælia Eudoxia (395-404) femme d’Arcadius et l’impératrice Ælia Pulchérie (450-453), sainte, fille des précédents née en 399 et femme de Marcien. Pour situer dans le temps, la bataille des Champs Catalauniques a eu lieu en 451, Attila est mort en mars 453, Pulchérie en novembre de la même année.
La première église chrétienne fondée à Philippes, nous l’avons vu, a été terminée en 342-343 et dédiée à saint Paul. C’est l’évêque Porphyre, dont on a trace de la participation au synode de Sardica (Sofia) en 344, qui a offert le sol de mosaïque, comme le dit cette inscription dédicatoire : “Porphyre, évêque, a réalisé dans le Christ cette broderie (=mosaïque en couleurs) dans la basilique de Paul”. Cette inscription qui permet de dater l’achèvement de cette église, simple salle de prière, en fait l’une des plus anciennes constructions chrétiennes identifiées.
C’est de l’Octogone que provient cette tête de dauphin, qui faisait partie du revêtement du mur (fin quatrième siècle, début du cinquième). Dans les premiers temps de l’Église chrétienne, le dauphin était le symbole de la salvation.
Sur le chapiteau de ma première photo, je ne dispose d’aucune information. En le comparant à d’autres, je le daterais de la première moitié du sixième siècle mais, n’étant pas spécialiste, je ne saurais rien affirmer. Le second, avec ses têtes de bélier et ses aigles, a été trouvé sur le marché de Philippes, mais parce qu’il n’a rien à faire là où il n’y avait pas de portique, et parce que de toute façon les portiques civils de l’Antiquité ne représentent jamais d’animaux, il est évident qu’il y a été transporté venant d’ailleurs. Mais d’où, de quelle basilique paléochrétienne, on n’en sait rien.